Institut Tavistock : Planification stratégique pour la santé mentale – John Rawling Rees
Institut Tavistock : Planification stratégique pour la santé mentale – John Rawling Rees

Institut Tavistock : Planification stratégique pour la santé mentale – John Rawling Rees

Au regard du contexte général, nous republions la traduction d’un article qui nous semble particulièrement important. Daté de 1940, il s’intitule Strategic Planning for Mental Health et a pour auteur John Rawling Rees. Oublié aujourd’hui, et inconnu du grand public à l’époque, il fut l’une des figures de proue du Tavistock Institute of Medical Psychology (dit Tavistock Clinic, dont le célèbre Tavistock Institute of Human Relations sera une émanation à partir de 1947), dont il devint directeur médical en 1933. Nous l’avions réalisée pour le Cercle Non Conforme en janvier 2015. Texte original : Strategic Planning for Mental Health, Colonel John Rawling Rees, Mental Health, Vol. 1, N° 4, octobre 1940.

Il serait difficile d’imaginer une époque plus insolite ou plus pénible pour notre exposé que celle que nous vivons actuellement. Je crois que certaines gens pensent que les Sociétés qui, en temps de guerre, consacrent du temps et de l’attention à des sujets comme celui que je vais exposer se prennent pour Néron ; je désapprouve ce jugement. En cette heure, nous devrions plus que jamais réfléchir sur là où nous en sommes et élaborer des projets pour gagner la guerre et mettre en place, avec fermeté, des travaux sur la santé mentale pour l’avenir.

Les réflexions que je développe dans cet article pourront sembler hasardeuses, mais mes premier et dernier points traitent de l’actuelle situation que traverse notre pays. Notre propre équilibre mental, notre vision et notre bon sens pratique n’ont jamais autant mis à l’épreuve qu’aujourd’hui. Si nous voulons faire notre part durant la période de la guerre, nous devons être sûrs de maîtriser notre propre peur, nous devons nous assurer que quoiqu’il nous arrive individuellement, l’esprit de vrai et de progrès qui réside dans chaque chose ne puisse jamais être endommagé ; si nous croyons fermement à cela, nous pouvons sereinement mener des travaux le plus loin possible, et démontrer que la santé mentale est une réalité. Tournons à présent notre intérêt et peut-être quelques-unes de nos qualités énergiques vers ce vaste problème de la santé mentale – comme étant l’une des aventures contemporaines – et voyons ce que nous pouvons personnellement planifier et réaliser.

Méridien Zéro vous propose de lever un voile sur ce qui constitue le principal laboratoire de manipulation et formatage des opinions publiques occidentales, et ce depuis quasiment un siècle.

Nombre de personnes ayant écrit sur cette question de la santé mentale ont formulé des objectifs précis. Je n’essaierai pas d’en faire de même avec une précision analogue, mais il semble évident que chacun d’entre nous souhaiterait faire quelque chose afin de rendre notre race plus audacieuse, plus adaptable, plus heureuse et, si possible, plus intelligente. Je ne ferai qu’effleurer l’aspect réparateur de notre travail. La médecine, de toute façon, s’est bien trop consacrée à réparer et rafistoler les gens. La vraie Médecine de l’avenir sera largement prophylactique ; dans notre champ d’étude, l’élément important est sans aucun doute de souligner les aspects positifs de la santé mentale plutôt que de se concentrer sur la mauvaise santé. Des trois branches majeures de la psychiatrie – pour les déficients mentaux, les psychotiques, et les neurotiques – la troisième est probablement la plus importante à l’échelle nationale, et ici la prophylaxie est bien plus importante que le traitement ; en fait, elle constitue la seule voie vers une solution ultime de ce problème médico-sociologique particulier.

Nous pouvons désormais appuyer à juste titre notre point de vue en ce qui concerne le bon développement de la psyché humaine, bien que notre connaissance dans ce domaine demeure incomplète. Nous devons viser à ce qu’elle imprègne chaque activité éducationnelle de la vie nationale : primaire, secondaire, universitaire et éducation technique sont toutes concernées par les diverses étapes du développement de l’enfant et de l’adolescent. Ceux qui fournissent l’éducation, les principes sur lesquels ils se fondent, et les gens sur qui ils travaillent, doivent tous faire l’objet de notre intérêt, car une éducation qui ignore les principes de bon sens – qui ont nettement évolué au cours de ces dernières années – sera susceptible d’être de valeur inégale. La vie publique, la politique et l’industrie devraient toutes être dans notre sphère d’influence. Il n’est besoin que de peu d’imagination pour voir les améliorations qui pourraient être réalisées dans chacune.

Plus particulièrement depuis la dernière Guerre Mondiale [la Première – NdT], nous avons beaucoup œuvré pour infiltrer les diverses organisations sociales de tout le pays ; et, tant dans leur travail que dans leur positionnement, nous pouvons clairement voir combien les principes pour lesquels notre Société et d’autres se battirent dans le passé sont désormais acceptés comme faisant partie du régime de travail ordinaire de ces divers corps. Ceci est comme ce devrait être, mais pendant que nous nous en félicitons, ne nous reposons pas sur nos lauriers et gardons en tête que l’ampleur de la tâche qui nous attend est encore plus grande. De la même manière, nous avons mené une attaque utile à l’encontre d’un bon nombre de professions. Les deux plus faciles furent bien entendu l’enseignement et l’Église : les deux plus difficiles sont le droit et la médecine. Quiconque dont la mémoire ne remonte ne serait-ce qu’à une douzaine d’années ne pourra que réaliser à quel point le changement est important dans l’esprit des professionnels, tandis qu’indubitablement d’autres, visionnaires, verront combien il nous reste à accomplir.

Si nous voulons infiltrer les autres activités sociales et professionnelles, je pense que nous devons imiter les régimes totalitaires et mettre en place une activité de type cinquième colonne ! Si de meilleures idées sur la santé mentale viennent à progresser et se diffuser, alors nous, les représentants, perdrons notre identité. Je veux dire par là que nous n’apporterons pas une aide suffisamment efficace si, lorsque nous parlons au nom du Conseil national ou de tout autre corps, nous n’adoptons pas une approche plus subtile adaptée aux circonstances particulières du moment. Cela n’aurait vraiment aucune importance si personne n’entendait parler de ce Conseil à partir du moment où le travail est fait. Soyons tous, désormais et très secrètement, « la Cinquième colonne ».

En même temps toutefois, aucune raison ne nous proscrit, en tant qu’individus et par petits groupes, de faire usage d’une approche pleinement ouverte de la question de la santé mentale. Nous nous sommes tous trouvés en contact avec des hommes et des femmes concernés par les divers aspects de la vie dont je viens de faire état, et la plupart d’entre nous pourraient constituer de petits groupes pour discuter de manière informelle de ces sujets ; en-dehors de cela, des corps ou comités bien définis de personnes intéressées par chacun de ces champs de travail, convaincues que cela valait la peine de travailler sur leurs problèmes spécifiques et leurs propres projets, devront se développer. Tandis que le bureau central peut parfois apporter son aide à un tel projet, seul notre labeur acharné en tant qu’individus fournira la dynamique pour de telles activités.

Dans ce domaine comme dans tout autre, nous devons anticiper et prévoir les événements aussi loin que possible. Nous fûmes souvent trop irréguliers dans notre travail et je pense que nous avons besoin d’un projet de propagande sur le long-terme. Le temps est fini où nous devions nous excuser de diriger l’intérêt des gens vers les questions de santé mentale. Désormais, pratiquement tout le monde est prêt pour de telles idées. Ils l’étaient avant la guerre, et c’est aujourd’hui encore plus le cas. Je doute de la sagesse d’une attaque directe sur l’état actuel des choses ; même en temps de guerre, cela soulèverait quand même de l’opposition, tandis qu’une approche plus insidieuse suggérant que quelque chose de meilleur est nécessaire – « pourquoi n’essaierions-nous pas ceci ou cela » – est plus susceptible de réussir. Le processus évolutif est essentiellement Britannique, et je pense que nous devrions en faire l’un des fondements de notre projet de propagande.

Le Parlement, la presse et les autres publications sont les moyens les plus sûrs pour diffuser notre propagande, et cela requiert la réflexion et le travail de chacun d’entre nous pour se mettre en place. Les parlementaires qui sont membres du corps médical sont toujours prêts à aider avec un quelconque programme de campagne bien pensé qui est clairement pour le bien du pays, mais nous ne devons pas nous limiter à eux. Le Parlement compte beaucoup d’hommes dynamiques tout à fait disposés, lorsqu’ils sont bien informés sur les questions ainsi que sur les questions complémentaires, à formuler des demandes, et à donner suite personnellement pour s’assurer que ces questions d’importance soient convenablement traitées. Je vis toujours dans l’espoir qu’un jour nous puissions amener les Parlementaires à se soumettre à des tests de personnalité et de performance, car je suis sûr qu’en faisant cela ils pousseraient ensuite tous les autres Parlementaires à suivre la même routine, et nous pourrions avoir par la suite l’opportunité de l’étendre à la fonction publique ! 1

Par le passé, nous avons sporadiquement tenté de fournir un service de presse qui puisse donner des informations sur des questions d’actualité et expliquer aux journalistes, et à travers eux expliquer au public, le sens de divers phénomènes qui sont des « sujets brûlants » dans notre presse quotidienne. Aujourd’hui – en tant que groupe – nous faisons preuve de trop peu de vivacité et d’enthousiasme sur la question d’aider la presse et d’ainsi influencer notre époque. Chacun de nous lit les journaux mais nous sommes souvent trop inertes pour passer à l’action sur les questions qui devraient de toute évidence être examinées, qu’elles soient sur la politique, l’administration locale, les affaires sociales ou les décisions de justice. Qu’il s’agisse des questions religieuses ou de la vie familiale, tous ces sujets se lisent dans la presse quotidienne, et certains d’entre eux nous intéressent. La politique de la presse, comme celle de la BBC, est influencée par la taille de son courrier des lecteurs. Même si nos lettres ne sont pas publiées, elles produiront tout de même leur effet sur l’esprit éditorial, et certaines d’entre elles seront sûrement publiées et feront ainsi réfléchir les gens. Nous ferons mieux là encore de rester secrets et de ne pas mentionner ce Conseil ni aucun autre corps, mais simplement d’écrire ou de parler en tant qu’individus. Ne parlons pas d’Hygiène Mentale (avec des lettres majuscules) ; nous pouvons toutefois écrire sans danger en parlant de santé mentale et de bon sens. Lorsque nous écrivons, il est important de se rappeler que sous-estimer quelque chose sera plus efficace que de la surestimer.

Votre attention ne doit pas se cantonner à la presse quotidienne ; il y a en effet de nombreux journaux hebdomadaires et mensuels et de presse spécialisée, or il est en principe plus aisé d’avoir des articles, billets, commentaires ou lettres dans ceux-ci que dans la presse quotidienne. De plus, ils sont lus avec plus d’attention que cette dernière.

Je voudrais nous voir aller plus loin que ces questions élémentaires et planifier une campagne pour faire en sorte que certains éléments et certaines idées importantes soient mises en valeur par des romanciers célèbres dans leurs livres. John Boynton Priestley, Clifford Thomas Morgan, Hugh Walpole, et de nombreux autres dont les livres suscitent l’intérêt – même le Dr Archibald Joseph Cronin – pourraient être disposés à coopérer. Je ne suggère pas, bien sûr, qu’ils devraient écrire des romans de propagande – ce serait surprenant que ceux-ci soient diffusés, mais dans une histoire humaine ordinaire il serait facile de donner de l’importance à un point de vue, et la construction graduelle d’une série de telles focalisations étalée sur plusieurs années serait le type de propagande le plus solide. Ce Conseil a récemment coopéré à des expériences avec des films : la même idée fut soulignée que ce medium ne peut transmettre qu’un élément au public. Ceux qui parmi vous connaissent les livres et leurs auteurs, ainsi que les films et leurs réalisateurs, pourraient mettre au point une stratégie sur le long-terme du bon type de propagande.

J’ai dit plusieurs fois que je crois que nous devrions être prudents sur la mention de notre Conseil ou de tout autre corps qui pourrait être vu comme poursuivant un but particulier. Beaucoup de gens n’aiment pas être « sauvés », « changés » ou remis en bonne santé. J’ai toutefois le sentiment que les termes « performance et économie » produiraient un meilleur effet car il n’y a que très peu de gens réfractaires à ces deux propositions. Je me suis même demandé si nous ne devrions pas avoir une filiale nommée le Bureau de la Performance Sociale (Social Efficiency Board) avec M. Ernest Bevin ou quelqu’un du même genre comme président ! Il me semble qu’en s’intéressant aux questions nationales, à l’administration locale et aux affaires sociales, nous renforcerions nos bases si nous soulignions constamment notre intérêt pour la performance et l’économie ; nous pourrons certainement « vendre » la santé mentale sous ces dénominations aussi bien que sous d’autres.

Oldham et Bristol, et peut-être un ou deux autres lieux, ont leurs propres comités ou conseils pour la santé mentale, et c’est je crois, une décision très sensée. Le Gouvernement de ce pays se décentralise de nombreuses façons avec la guerre, et pour notre travail spécifique je crois que plus nous pourrons étendre la responsabilité, meilleure sera notre progression. Ces questions d’esprit et de perspectives humaines sont suffisamment vitales et intéressantes pour attirer en tout lieu des groupes d’hommes et de femmes intelligents qui endosseront une fonction dans les conseils ou comités locaux. Tirons des enseignements du groupe d’Oxford et faisons des réceptions le week-end ; à travers tout le pays nous avons des gens à notre portée : étudiants en médecine, enseignants, journalistes, fonctionnaires, responsables syndicaux, et toute sorte d’autres personnes, que nous pourrions faire se rencontrer et parmi lesquelles nous devrions trouver des gens sensés et équilibrés qui pourraient diriger des activités locales. Pourvu que nous ayons une telle personne stable dans un groupe je serais ravi de lui en confier la direction. Nous faisons tous des erreurs, et cela ne fait aucun doute qu’il faille lâcher des briques mais dans l’ensemble cela susciterait l’intérêt du bon genre et ferait avancer notre cause.

Dans cet article, j’ai simplement effleuré ce vaste domaine de la politique. En quelques points, j’espère avoir stimulé les gens pour qu’ils pensent à bien d’autres, et plus particulièrement ceux auxquels ils ont en particulier le pouvoir de donner suite. Je souhaiterais conclure avec une attention renouvelée sur le fait que chacun de nous en tant qu’individus porte une grande responsabilité pour la santé mentale de la nation, aujourd’hui durant la guerre, demain dans un meilleur futur à venir. Nous avons besoin de vision et de courage. Nous ne devons pas nous limiter à des projets et être de simples théoriciens, mais nous devons aussi faire des expériences, et il est important de se rappeler qu’en des temps comme ceux que nous connaissons actuellement, il est bien plus facile de diffuser des idées sensées ou, si vous voulez, d’enseigner avec plus de tranquillité que jamais auparavant. « Tout repose sur moi » est un assez bon slogan, et « Vas-y » de M. Morrison est l’un des autres dictons dynamiques du moment. Nous pouvons tous deux nous les appliquer dans le champ de recherche spécifique qui nous occupe.

1 –  N.d.T. : Mentionnons qu’en 1945, John Rawling Rees écrivit The Shaping of Psychiatry by War. Il y écrivait notamment souhaiter des troupes de choc, une armée de psychiatres qui pourrait mettre en place des méthodes de contrôle politique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *